Auteur
Alexandre Lourimi
Avocat spécialiste web3 et crypto @ORWL
Éditeur
Florian Corteel
Éditeur de contenus Finance
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19/4/2024

Tout comprendre à la fiscalité des NFT

Rédigé par
Alexandre Lourimi
Édité par
Florian Corteel
Résumé pour les lecteurs pressés :
  • La question de la fiscalité des NFT dépend de la nature du NFT, et donc des droits associés et/ou du sous-jacent ;
  • Si les NFTs peuvent être qualifiés d'actifs numériques, les cessions relèvent du régime des plus-values sur actifs numériques (PVAN). Le régime est avantageux car, s'il prévoit un taux global d'imposition de 30 %, les échanges entre actifs numériques bénéficient d'un sursis d'imposition. L'achat ou la vente du NFT en crypto-actifs ne génère donc pas d'imposition, cette dernière n'intervenant qu'en cas de vente en monnaie ayant cours légal ;
  • Dans les autres cas (lorsque le NFT ne rentre pas dans la catégorie d'actifs numériques), et lorsque l'achat de NFT est réalisé avec des crypto-actifs, le contribuable devra déclarer la plus-value réalisée sur la cession des « crypto-monnaies » échangés contre l'acquisition du NFT. Les modalités d'imposition dépendront alors de la qualification retenue.

Du jeux vidéo à l'immobilier, en passant par l'art ou encore la musique,  les jetons non fongibles (« non-fongible tokens » ou NFT), dont la technologie est basée sur celle de la blockchain, se manifestent tous les secteurs d'activité, et plus particulièrement dans celui du Web3.

Techniquement, les NFT sont des crypto-actifs au même titre que le bitcoin et l’ethereum, à la différence près que ces derniers ne sont pas interchangeables. En effet, le caractère unique de chaque NFT implique qu’ils ne peuvent être remplacés et sont donc par conséquent « non fongibles ». 

Les NFT, des OVNI juridiques et fiscaux

Juridiquement, le NFT n'est pas simple à saisir, et la multiplicité des usages (e.g., certificat d'authenticité de biens physiques, éléments de jeu vidéo en ligne, billet d'un événement, etc.) rend difficile, sinon impossible la détermination d'une qualification juridique unique. 

Fiscalement, leur traitement demeure une question ouverte, principalement à cause de l'absence de qualification juridique claire. Ni le législateur, ni l'administration fiscale, ni le juge de l'impôt ne se sont prononcés à date sur leur régime fiscal. 

Face à ces OVNI juridiques et fiscaux, les contribuables font face à de multiples incertitudes : comment déclarer ses gains ? Les pertes sont-elles reportables ? La valeur des NFT détenus dans son portefeuille numérique est-elle susceptible d'impacter le calcul des plus-values sur actifs numériques ? etc. 

Dans le cadre de l'impôt sur le revenu, quatre catégories de biens peuvent être distinguées, et relèvent chacune d’un régime fiscal différent : 

  • les actifs numériques (article 150 VH bis du CGI), 
  • les métaux précieux, les bijoux et les objets d’art, de collection ou d’antiquité  (article 150 VI du CGI), 
  • les valeurs mobilières et les droits sociaux (article 150-0 A du CGI), et 
  • les autres biens meubles (article 150 UA du CGI).  Le régime fiscal des « autres biens meubles » est en quelque sorte la catégorie dite « balai » : tout bien meuble y est soumis à moins d’être considéré comme une œuvre d’art, une valeur mobilière ou un actif numérique.

Dans le cadre d'opérations sur NFT, la question qui se pose est de savoir le NFT entre dans l'une de ces catégories ; tout en sachant que le contribuable prendra nécessairement un risque fiscal en optant pour un régime fiscal ou pour un autre.

Une fiscalité selon le sous-jacent du NFT

Si certains oeuvrent pour une imposition autonome des NFT dans l'une des catégories précitées, le réalisme fiscal impose de s'intéresser, pour chaque NFT, à la nature de cet actif ; ce qui implique d'analyser notamment le sous-jacent (les droits représentés par le NFT). 

De la même manière qu'une œuvre d'art est imposée dans une catégorie distincte de celle des titres financiers, il n'existe aucune raison d'imposer dans un régime unique des NFT représentant des droits opposés découlant de régimes distincts. 

En effet, conformément au principe de neutralité technologique, le régime fiscal doit nécessairement reposer, non sur la forme de son support, mais sur la nature de l'objet. Or, dans de nombreux cas, la valeur des NFT est liée à des objets (matériels ou immatériels), et non à l'inscription seule de l'actif sur la blockchain. A titre d'illustration, un tableau de Claude Monet n'aurait pas plus de valeur pour la seule et unique raison d'être authentifié sur la blockchain. 

Ainsi, dès lors que le sous-jacent d'un NFT est associé à une catégorie d'actif existante (actif numérique, œuvre d'art, droit financier, etc.), le régime lié à cette catégorie devrait en toute logique s'appliquer. 

Le NFT, un actif numérique comme les autres ? 

Lors de l'adoption de la loi PACTE en 2019, le législateur n'avait pas anticipé l'essor de nouveaux types d'actifs numériques comme les NFT ; et a simplement défini (i) les monnaies virtuelles (BTC, ETH, etc) et (ii) les jetons utilitaires, ces deux catégories formant la catégorie plus large des « actifs numériques ». 

Si les NFT ne peuvent être assimilés à des monnaies virtuelles du fait notamment de leur absence de fongibilité, il est tentant de les qualifier de jetons (au moins car ils partagent un terme identique). 

Les jetons sont définis comme  « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé [blockchain] permettant d'identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien » (CMF, art L. 552-2). 

Le cas des NFT utilitaires (utility tokens), par exemple des NFT donnant droit à un service, devrait logiquement entrer dans cette qualification – la difficulté étant alors liée au fait de savoir si le collectionneur achète plutôt un service ou un actif numérique, et comment faire cette distinction. 

Les NFT n’étant associés à aucun droit, comme c’est le cas des NFT purement artistiques devraient être exclus purement et simplement de la catégorie des actifs numériques dans la mesure où ces jetons ne remplissent pas la condition de « représent[er] sous forme numérique, un ou plusieurs droits ».

Dans l'hypothèse où la qualification d'actif numérique est retenue, les cessions de NFT suivent le régime des plus-values sur actifs numériques (PVAN) prévu par l'article 150 VH bis du CGI. 

Régime d'imposition des plus-values sur actifs numériques

  • Lorsque les cessions excèdent un montant annuel de 305 euros, les plus-values réalisées seront imposées à l'impôt sur le revenu au prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % (dont 12,8 % d'impôt sur le revenu et 17,2 % de prélèvements sociaux) avec une possibilité d'opter pour une imposition au barème progressif à compter du 1er janvier 2023. 

Avantage du régime 

  • L'avantage principal d'appliquer ce régime concerne la détermination du fait générateur d'imposition. L'achat et la cession d'un NFT ne donne lieu à aucune imposition. En effet, les échanges entre actifs numériques ne sont pas imposables, le fait générateur d'imposition étant uniquement liée à une conversion en « fiat » (contre une monnaie ayant cours légal, un bien ou un service) ; 

Désavantage du régime 

  • L'application de ce régime aux NFT n'est pas sans difficulté et implique d'appliquer les modalités de calcul particulières de ce régime. Pour chaque fait générateur d'imposition, le contribuable doit déterminer la valeur globale du portefeuille d'actifs numériques, y compris les NFT répondant à la qualification d'actifs numériques (ce qui peut être particulièrement difficile compte tenu du caractère non fongible des NFT). 

Le NFT, une œuvre d'art ?

Dans le cadre de l'impôt sur le revenu, la notion d’œuvre d’art n’est pas précisément définie. 

A ce titre, l'Administration fiscale a apporté des précisions en indiquant que cette notion incluait notamment « les tableaux et peintures entièrement réalisés à la main de l'artiste », « les gravures, estampes, lithographies originales » mais également les « œuvres d’art audiovisuelles sur support analogique ou numérique ». Ces dernières doivent être issues d'un tirage contrôlé par l'artiste ou ses ayants droit, limitées à 12 exemplaires, être signées et numérotées par l'artiste ou, à défaut, accompagnées d'un certificat d'authenticité signé par lui (BOI-RPPM-PVMC-20-10 n° 40).

L'administration a ainsi adopté une conception restrictive de la notion d'oeuvre d'art qui devrait exclure la majorité des NFT du régime propre à ce type d'actifs, soit parce que les NFT ne sont pas réalisés « à la main de l'artiste » (mais de manière numérique) soit parce qu'ils sont générés dans un nombre important d'exemplaires. Le caractère duplicable à l’infini des images numériques semble, en effet, irréconciliable avec la définition d’œuvre d’art.

Toutefois, comme indiqué, dans certains cas, le NFT ne vient que certifier l'authenticité d'une œuvre d'art physique (ou même d'un objet de collection). Dans ce cas, rien ne devrait permettre d'exclure la vente du NFT (en réalité de l'œuvre d'art) du régime propre aux ventes d'œuvres d'art.

Régime d'imposition des oeuvres d'art

  • Le collectionneur pourrait soumettre la vente de son NFT, si celle-ci excède 5.000 €, à une taxation forfaitaire de 6,5 % du prix de cession (6% d'impôt sur le revenu + 0,5 % de CRDS). 

Avantage : 

  • Une fiscalité très avantageuse avec une imposition à hauteur de 6,5% appliquée uniquement aux ventes dont la valeur est supérieur à 5.000 €. Attention, ce taux est appliqué au prix de cession, et non à la plus-value réalisée. 

Désavantage : 

  • En cas d'achat de NFT avec des crypto-actifs, le contribuable devra déclarer la plus-value réalisée sur la cession des « crypto-monnaies » échangés contre l'acquisition du NFT.

Le NFT, un titre financier ?

Lorsqu'un NFT est associé à des droits financiers, la qualification du jeton en titre financier (security token) est possible. 

L’Autorité des marchés financiers (AMF) adopte une approche extensive de la notion de security token, celle-ci pouvant être retenue en présence de droits politiques (droits de gouvernance) et/ou de droits financiers similaires à ceux habituellement attachés à un titre financier (ex. une action ou une obligation). 

Ainsi, un NFT, dont les droits associés prévoient par exemple un partage des bénéfices d'exploitation, est susceptible de se rapprocher d'un titre financier. 

Régime d'imposition des titres financiers 

  • Les plus-values réalisées lors la cession à titre onéreux de NFT représentant des droits financiers sont soumises au prélèvement forfaitaire unique (PFU) au taux de 12,8 %, auquel s'ajoutent 17,2% de cotisations sociales, soit un prélèvement total de 30%.

Avantage : 

  • Le taux de prélèvement est similaire à celui du régime des plus-values sur actifs numériques, mais ce régime présente l'avantage de pouvoir reporter les moins-values les années suivantes sur les opérations de même nature. 

Désavantage : 

  • Le sursis d'imposition applicable aux opérations d'échanges d’actifs numériques n'est pas applicable à ces opérations ; l'achat et la cession d'un NFT contre d'autres crypto-actifs est donc susceptible de générer une imposition.

A défaut, le NFT : un bien meuble incorporel classique

A défaut de rentrer dans une catégorie existante, les NFT devraient en principe être qualifiés de façon générique comme des biens meubles incorporels au sens du droit civil (catégorie balai). 

Cette assimilation avait déjà été retenue par la jurisprudence (CE, 25 avr. 2018, n° 417809 et 418033) concernant des ventes de bitcoins, avant que le législateur ne viennent définir les actifs numériques et leur appliquer un régime fiscal propre. 

Régime d'imposition des biens meubles incorporels

Le régime des cessions de biens meubles défini à l'article 150 UA du CGI prévoit une imposition de la plus-value réalisée à un taux global de 36,2 % (19 % d'impôt sur le revenu + 17,2 % de prélèvements sociaux) avec le bénéfice d'un abattement de 5 % par année de détention (au-delà de la 2è année, soit une exonération au bout de 22 ans).

Toutes les cessions d'un montant inférieur à 5.000 € sont exonérées. 

Avantage : 

  • Une fiscalité assez avantageuse avec une exonération des ventes inférieures à 5.000 €. Le taux reste toutefois supérieur à celui des autres régimes. 

Désavantage : 

  • En cas d'achat de NFT avec des crypto-actifs, le contribuable devra déclarer la plus-value réalisée sur la cession des « crypto-monnaies » échangés contre l'acquisition du NFT.

Récapitulatif

Régime fiscal Imposition des plus-values sur les crypto-actifs utilisés pour l'acquisition du NFT Imposition de la plus-value lors de la cession du NFT
Actifs numériques Non 0% si la cession se fait contre un autre actif numérique
30% de la plus-value si la cession se fait contre autre chose    
Oeuvres d'art Oui (30%) 6,5% du prix de vente
Titres financiers Oui (30%) 30% de la plus-value
Biens meubles incorporels Oui (30%) 36,2% de la plus-value – abattement pour durée de détention

Risque de requalification de l'activité

Outre la qualification du NFT, il convient également de rester vigilant sur le caractère de gestion privée de ses NFT. 

En effet, si l'activité d'achat-revente de NFT est exercée à titre habituel, elle devra être imposer de la même manière que les bénéfices professionnels avec pour conséquence une imposition au barème progressif de l'impôt sur le revenu (entre 0% et 45%)  et un assujettissement aux charges sociales. 

En cas de requalification, l'Administration pourrait également  appliquer des pénalités de (jusqu'à 80% en cas d'activité occulte) sur les droits rehaussés. 

Conclusion

La fiscalité des NFT représente un domaine complexe et en constante évolution, reflétant la diversité et la nouveauté de ces actifs numériques. 

En réalité, chaque NFT présente un cas unique, influençant directement la manière dont ils sont, au moins en théorie, imposés.

La prudence est de mise pour les détenteurs de NFT, car la qualification fiscale choisie peut entraîner des conséquences significatives en cas de contrôle fiscal. Il est essentiel de rester informé et de consulter des experts en fiscalité pour naviguer dans ce paysage juridique et fiscal en constante évolution.

En définitive, bien que les NFT offrent de nouvelles possibilités dans de nombreux secteurs d'activité, ils soulèvent également de nombreuses questions et défis en matière de fiscalité des particuliers.

Édité par
Florian Corteel
Éditeur de contenus Finance
Rédigé par
Alexandre Lourimi
Avocat spécialiste web3 et crypto @ORWL
Alexandre est en charge de la pratique droit fiscal et droit des affaires du cabinet. Il a travaillé en juridiction, au sein de la cour administrative d’appel de Versailles, et il est intervenu sur de nombreux litiges en matière d’impôt sur les sociétés, de TVA et d’impôt sur le revenu. Plus spécifiquement spécialisé sur les enjeux fiscaux du numérique, Alexandre bénéficie d’une expertise reconnue en matière de fiscalité des actifs numériques et de projets blockchain. Il conseille des entreprises et des particuliers. Il a co-fondé ORWL Avocats.

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